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M,3, UNIVERSITY OF FLORIDA LIBRARIES LE GENERAL 4O D AlIEXIS 1908 FR i tt iC MARIELIN LE GENiERA FORDD ALEXIS 1908 TOME III PARIS SOCIETY ANONYME DE L'IMPRIMERIE KUGELMANN (L. CADOT, Directeur) 12, rue de la Grange-BateliBre, 12 Est modus in rebus..... La pens6e d'Ho- race pourrait servir d'dpigraphe au gouver- -nement du g6ndral Nord Alexis en cette ann6e 1908 (1). Car il semble que c'est d'avoir manqud de measure, au mepris de la recommendation du poete, que le pouvoir lui a 6chapp6 lorsqu'il pouvait esp6rer que sa victoire rcente* le firminisme l'avait davantage consolidd dans ses mains. La principal preoccupation du Gouverne- ment fut, dBs le d6but de ce mois de janvier, I'dlection des deputies au Corps LUgislatif. La nouvelle Chambre, Mlue pour trois ans, devait former, avec le Sdnat, l'Assemblde National, laquelle, au 15 mai 1909, donnc- (1) Voir les tomes I et II ; Le Gdneral N ld'-Alexis, - - rait un nouveau chef au pays. On comprend des lors quelle agitation s'empara de la R1publique. Chacun voulait 6tre d6pute. Chacun briguait la recommendation offi- cielle du Gou pres des chefs mi- litaires, grands l ou plulbt seuls diecteurs. En dehors des Ministres, le President et son Cabinet particulier entendaient, plus que jamais, diriger exclusivement les elections. Pour ma part, je n'y trouvais aucune objec- tion. Les elections 6tant militaires on se rappelle la circulaire du chef de I'Etat a ses commandants d'arrondissement il 6tait natural que toute l'action fit concentrate au Palais. Aussi chaque fois que je recevais des communications de candidates qui, au nom de leur d6vouement dprouv6 pour le gdndral Nord, demandaient a faire parties de la fu- ture Chambre,je me bornais A les transmet- tre.au President. C'6tait a lui que revenait, a travers tons ces ddvouements dprouves, ce travail d6licatde selection. I1 le faisait trBs soi- gneusement, tres methodiquement, scrutant -7- le passe du candidate, c'est-h-dire ses ante- cedents politiques, et ce qu'on pouvait augu- rer de sa conduite future comme d6pute. Je dis franchement ce qui, a~ l'poque, s'est pass6..... El.,.pest-ce ,pas toujours ainsi que cela se passe ? N'est-ce pas tou- jours, dans nos elections, la mise en prati- que, avec plus ou moins de vigueur, de la pression militaire ? Je nejuge pas, je cons- tate. Il n'est m6me pas impossible que ce mode d'election ne donne des avantages ap- preciables. En tout cas, ce n'est pas le re- gime actuel qui pourrait s'en plaindre, car il a trouvd dans la Chambre sdlectionn6e de Nord Alexis un solide levier pour fair 6lire h la Pr6sidence de la R6publique le chef victorieux de l'armde du Sud. , Je n'ai jamais eu le moindre doi le sort de cette 1dgislature, quand les ~fene- ments se precipitant an inois de novembre 1908, les d6putes s'inquietai t,,a, triomphe de la Rdvolution, d'6tre rendus at6 aIx loi- sirs de la vie privee..... ( Rassurez-votis, -8- disais-je a ceux qui me questionnaient, rien de cela n'arrivera.Vous ne serezpas dissous. Et c'est vous qui dlirez le chef de l'1tat..... De nouvelles elections ameneraient de l'agi- tation dans le pays, et la plus vulgaire habi- let6 command de ne pas exposer & un bal- lottement, meme superficiel, la candidature du Chef de la Revolution. ) En rdalit6, le general Nord Alexis pouvait- il agir diffdremment qu'il ne l'a faith le 15 janvier 1908? Pouvait-il laisser les elections libres ?'Je ne crois pas qu'il aitjamais envi- sag6, durant sa carribre, ces consultations nationals autrement que guides par l'au- torite militaire central. Mais s'il avait pense agir de fagon opposee en cette occasion, le pouvait-il utilement pour la paix publique ? On pourra avoir quelque hesitation a repon- dre si on songe qu'd sa propre impulsion les petites impulsions locales, toujours militai- res, se seraient substitutes, imposant leurs mandals imperatifs aux futurs ddput6s, et pour le profit de leurs propres candidates - 9- presidentiels. Vraisemblablement, une cer- taine anarchie en serait result6e pour abou- tir a la guerre civil au 15 mai 1909. Cependant l8 of il eut tort, ce fut de fair nommer une forte quantity de personnel infdoddes a sa vie, a son Palais, des sortes de clients comme'en avait, dans l'antiquitd, les puissants Remains a leurs portes, t leur lever, personnel totalement inconnues de leurs mandants. Certes, ses pridecesseurs s'6taient conduits de meme fagon, mais pas dans une si 6norme proportion. Or cela mB- contentait vivement dans les petites loca- lites des individualites agissantes, qui, par leur d6vouement au Gouvernement et leur popularity rdelle, r6clamaient, a just titre, le droit de representer leurs communes. Ces individualites-la auraient apporte une force nouvelle au Gouvernement, et, rentr6es chez elles, apres la session, la lui auraient continue encore, tandis que les autres, attachees a la vie du Palais, riv6es h la personnel du g6ndral Nord, ne pouvaient - 10 - rien lui rendre, au conlraire recevaient tout de lui. Au surplus, c'dtait 1a un abus presque invincible dans le Gouvernement d'envoyer les gens d'une locality, et surtout de Port- au-Prince, occuper des charges dans une au- tre locality. Par example, pour les douanes je ne pouvais guere comprendre, quand jo recevais des commissions nommant des ci- toyens de la capital contr6leurs, inspec- teurs, chefs de bureau, interpr6tes, simples petits employs m6me dans les douanes de province, je ne pouvais comprendre que, pour des appointments modiques, ces per- sonnes abandonnassent ainsi famille, habi- tudes, int6r6ts visible. J'en faisais tres sou- vent l'observation au Prdsident, lui reprd- sentant combien les populations devaient Utre m6contentes, l'esprit de clocher 6tant legitime en soi, quand surtout on ne leur envoyait pas des parangons de vertu. Rien n'y faisait. Et elle alla si loin, cette habitude de transplanter des gens de la capital dans - 11 - les administrations des autres villes le Cap except que je fus oblige, pour rea- gir, d'essayer de limiter, dans mon project de loi sur la ( Direction Gendrale des Doua- nes ), le droit de nomination du chef de 1'Etat aux charges publiques... Le President appliquait aussi cette mB- thode dans les commandments militaires de certaines localit4s qu'il 6vitait de con- fier aux personnel de 1'endroit. Mais li, elle 6tait parfaitement justified. Elle etait meme de tradition dans notre histoire. Et quand, dans cette annee 1908, il y manqua pour Jdrdmie, en confiaat le commandement de l'arrondissement a un citoyen de cette ville, il n'etait besoin d'aucun prophete pour lui dire qu'il commettait une grave erreur. Les elections du 10 janvier eurent lieu dans l'ordre et le came le plus parfaits dans toute la Republique. Les commandants mi- litaires, disciplinairement, se conformbrent partout aux listes qu'ils avaient reCues de Port-au-Prince, - 12 - Tout paraissait tranquille. Le danger d'une prise d'armes, qui avait prdoccupe le Gouvernement durant plus d'un mois, sem- blait dcartd pour l'instant. En effet, le mani- feste des exilds qui nous etait parvenu dans les derniers jours de ddcembre 1907 disait, dans un de ses passages : ( On pourrait peut-6tre patienter jusqu'en mai 1909; mais dans les elections du 10 janvier 1908 le people ne restera pas libre de choisir ses mandataires, car le vieux moribond devant qui l'on a trop longtemps trembled, ordonne, dans ses circulaires aux commandants d'arrondissement, de ne permettre qu'k ses supp6ts de se mettre en rang pour le man- dat de d6pute du people. ) Or, les elections s'6taient paisiblement accomplies, les d6putds avaient Etd 61us. 11 semblait done que le but de la prise d'ar- mes : empecher la reunion d'une Chambre qui, nommee sous l'influence de I'autoritd, obdirait a cette m6me influence le 15 mai - que ce but dtait manqud. L'attente fid- - 13 - vreuse dans laquelle on avait vCcu faisait done place, dans le Gouvernement, a une sorte de halte, lorsque le mercredi 15 jan- vier, vers midi, la Compagnie frangaise des Cables telIgraphiques transmit au Palais cette dep6che : a Note par cable reque, tremblement de terre aux Gonaives, ce matin de quart d'hcure en quart d'heure. Maisons Herr- mann, Addor, 0. Jacques, Joubert renver- sees. Autre part, endommagement beau- coup, mais sans accident, secousses conti- nuaient meme intensity jusqu'h onze hou- res. Gonaives interrompu avec moi depuis midi. mi MORISSEAU. )) A cette dpoque-ia, I'esprit public 6tait trbs preoccup6 des nombreux tremblements de terre qui avaient ravage les Antilles et qui continuaient a promener la desolation dans l'Amdrique du Sud. Un cri de- pitid, h la reception de la depeche, s'6leva du Gouvernement. On d6cida qu'il fallait cou- - 14 - rir, sans perte de temps, au secours de la malheureuse cit6. Le g6ndral Nord ordonna de fire partir immddiatement deux navires de guerre, Le Nord-Alexis et Le Croyant, qu'on charge de farine, de mess-pork, de biscuits, de toute sort de provisions de bouche pour uourrir les sinistres, et do pelles, haches, piques pour deblayer les maisons abattues. Chacun se mit rapide- ment a l'oeuvre, activant le depart des ba- teaux, sur lesquels le Ministre de la Guerre et le chef du Cabinet du President devaient prendre passage pour porter des paroles de consolation aux-populations si rudement eprouvees. Je descendis tout de suite au bord-de-mer pour avertir les maisons dtran- geres qui dtaient en relations d'affaires avec les Gonaives que le Gouvernement etait a leur disposition pour recevoir a bord des navires, soit des commis qu'elles voudraient y exp6dier, soit des lettres ou tous autres objets. On me remercia avec discretion et d'un air qui me donna un peu h penser< - 15 - mais sans m'orienter, toutefois, vers rien de precis... Cependant, par le t6elphone du reseau terrestre quireliaitdirectement Saint- Marc au Palais, on essayait d'avoir des nou- velles de cotte derniere ville. On nous repon- dait qu'une grande agitation regnait dans les environs, qu'on entendait des d6tona- tions, que des gens, fuyaient du cot6 des Gonaives, que le commandant'de l'arron- dissement 6tait sorti pour calmer les esprits. Bref, quoique des ce moment tout cela pa- rit un peu louche, on croyait fermement au tremblement de terre, lequel avait pu jeter le d6sarroi h Saint-Marc aussi. Je com- mengais pourtant a reflechir. Bien que je susse l'irreductible opposition des maisons de la place, je ne pouvais croire que cette opposition allat jusqu'h cette indifference, presque a cette joie, dans un malheur qui les frappait aussi bien que nous. II devait y avoir autre chose qu'on savait et qu'on cachait. D'induction en induction, j'arrivai vite h soupconner qu'il n'y avait peut-etre - 16 - pas de tremblement de terre, mais une prise d'armes. Comme je me rappelais que Sal- nave avait perdu un navire de guerre h Grand-Goave parce que son commandant. qui avait quitter la veille la ville au pouvoir du Gouvernement, y 6tait retournd le len- demain sans s'assurer au praalable qu'elle n'etait pas aux mains de lennemi, je dis au g6n6ral Nord ma conviction; je la dis h mon college de la Guerre qui partait, je la dis t deux ou troissofficiers de l'expidition. Mais il n'etait p's necessaire de trop 6brui- ter cette ciaintc, car on n'etait pas nom- breux a bord, et il ne fallait pas 6branler la confiance. Tout de mime, le Ministre de la Guerre qui n'avait, je crois, qu'une cinquan- taine de soldats avec lui dans la mission pacifique ct humanitaire qu'il allait remplir, avait aussi ses soupcons. 11 se tenait sur ses gardes. Et les revolutionnaires qui avaient escompte une surprise qui leur aurait per- mis de capture un navire de 1'Etat en furent pour leurs frais. Lcur stratageme -- 17 - tourna m6me contre eux. En effet, il est certain que si le Gouvernement avait su que c'dtait une prise d'armes, il n'aurait pas exp6did aussi rapidement les navires. II au- rait perdu plusieurs jours & preparer une expedition militaire. Il n'y aurait pas eu en tout le monde cette fievre de sollicitation a s'embarquer, fi6vre qu'on fut bien oblig.de, soutenir une fois devant l'ennemi, pi'sqiu'il n'y avait plus a reculer. Et que se serait-il pass durant ce temps ..durant ces retards? A voir la propagation rapidde, e la r6volte, il faut se dire que sa ddfaite a le6 due sur- tout a l'activitd du Gouvernement.;:-Mlais cette activity a tde surexcitee en parties par le depart des bateaux : ils dtaient devant 1'ennemi, et il fallait hativement et quand meme les soutenir. Le cerveau, litt6raire qui, dans la solitude du cabinet; a Saint-Tho- mas, avait congu 1'id'e de ce t6legramme romantique du tremblement de terre pour assurer le succes de sa representation, le vit faire long feu. Telle est la vie, Le clou - 18 - sur lequel on compete apres avoir bien m6dit6 et soign6 sa mise en scene cede souvent. On s'appretait a faire rire, et 1'on pleure soi-m6me... A peine les bateaux avaient-ils lev6 1'an- ere que, des six heures du soir, nous savions a quoi nous en, tenir: Gonaives et Saint- Marc 6taient en armes. On resta cette nuit sur pied, au Palais. Le Pr6sident la pass tout entire devant son bureau, expediant des ordres de march a ses lieutenants. A cinq heures du matin, on lui apporta son cafe. II m'en offrit une tasse que j'acceptai avec grand plaisir, Rtant sorti plusieurs fois en ville pour patrouiller, car, pensait-on, les r6volutionnaires, conform6ment au plan arrtC6, allaient frapper un coup h Port-au- Prince ce soir meme. Du reste, jusqu'au mois de mars ce fut toujours la meme his- toire : on devait, chaque nuit, tenter un movement. Des avis, quotidiennement, m'etaicnt donnes de tous les c6tes de pren- dre mes precautions. - 19 - Je n'ai nulle envie de faire I'historique de cette prise d'armes des Gonaives, de Saint- Marc el de Port-de-Paix. Je n'ai aucun gout pour ces narrations, toujours tristes par la constatalion, chaque fois ecoeurante, en depit de l'accoutumanee, de l'insouciance avec laquelle nos r6volutionnaires n'hisi- tent pas a compromettre la vie et les int&- rets les plus sacrds de leurs concitoyens pour la satisfaction de leur ambition per- sonnelle et par la constatatiqn, non moins ecoourante, du licher-pied de nos co-mmandants militaires qui ia, veille, fou- dres de guerre dans leurs discours centre les ennemis de I'ordre public, ne connais- sent plus le lendemain, quand il faut les combattre. d'autre champ de bataille que les consulate strangers oh ils se rdfugient.., Mais on sait que la situation une fois connue, lEactivitW et l'dnergie ne firent pas d6faut au general Nord. Ce nonagenaire fut sublime. 11 fut sur pied nuit et jour, com- muniquant sa jeunesse, son ardeur h tout - 20 - le monde. Devant les trahisons, les lAchetes, il n'eutjamais un movement d'impatience. II demeura toujours calm, s'appliquant uniquement a reparer'les breches quo les defections ou la pusillanimity occasionnaient dans nos rangs. Le 19 janvier, Saint-Marc bombard fut, aprbs dix heures de combat, pris d'assaut par les troupes d6barquees a la Source- Salde. Le 24, les r6volutionnaires comman- des par le general Jean Jumeau furent dd- faits a Dessalines, apres une bataille de cinq heures. Le malheureux Jean Jumeau no pouvant, vu son age et ses infirmites, so hisser sur son cheval, don't un de ses lieute- nants plus press s'empara, et abandon( dans la deroute par tout son 6tat-major fuyant 6perdument, essaya instinctivement de se dissimuler derriere un rocher voisin du lieu de l'action. Vite d6couvert, il n'eut avant de tomber devant le peloton d'execu- tion que ce mot de resignation : C'est le jour du malheur ! Le lendemain meme, Gonalves capltulait sans brdler une cartouche. Ce qui fut tres heureux pour les habitants de cette mal- heureuse cit6, car cette sagesse la sauva' de maux auxquels traditionnellement elle n'est que trop habitue. Les consulats, tradition- nellement aussi, se remplirent des rdvolu- tionnaires vaincus, M. A. Firmin, leur chef, en tAte. Je n'ai pas h aller plus loin dans l'histo- rique de cette Rdvolution. Cependant il me faut dire combien peu je m'explique encore l'execution sommaire, plus inintelligente que barbare meme, s'il se peut, des otages de Saint-Marc. Tout ce que les adversaires du Gouvernement peuvent dire centre cette execution ne saura jamais egaler la douleur que ses amis doivent en ressentir. Comment le g6ndral Nord ne le comprit-il pas! Com- ment ne comprit-il pas qu'il s'assassinait lui-m6me en se conduisant ainsi Comment ne fit-il pas, dans l'intirkt sup6rieur de son Gouvernement, taire ses vieux instincts de 2 -- militaire haitien pour qui le vce victis est la loi supreme Comment ne consulta-t-il pas son Conseil des Secretaires d'Etat qui ne connut l'exdcution que lorsqu'elle 6tait consommee! Fait de guePre, disait-il. Mais fait dc guerre qui ne fut a proprement parler qu'un suicide, qu'un acted de folie. 11 dminontra plus que surabondamment que nos presidents militaires, dans le fetichis e d'une autorit6 toujours hraqu6e contre les conspirateurs, peuvent perdre aisement, en une second d'aberration, le fruit de la plus belle et de la plus enviable des situations. En effet, le gouvernement des Etats-Unis, sur la demand du n6tre, avait tdlegraphid a sa 1egation a Port-au-Prince de remettre au g6ndral Nord Alexis les r6fugids qui, depuis plusieurs jours, se trouvaient au consulate ambricain de Saint-Marc. C'dtait pour nous une inestimable victoire, une victoire don't nous aurions pu recueillir le plus grand prix, si nous en avions use modd- r6ment. La ligation de Port-au-Prince ordonna immddiatement, des la reception du teldgramme, d'enlever le drapeau 6toil6 qui flottait a Saint-Marc sur la mason du consul. Or, aussitot que le pavilion fut abaiss6, les autorit6s haitiennes entrerent dans la maison, d6chue de son privilege d'asile, s'emparbrentdesr6volutionnaires, et, sans autre forme, les fusillerent. On doit peut-6tre regretter que le ministry ameri- cain, M. Furniss, ait livr6 ces malheureux sans rien stipuler en leur faveur. I1 aurait pu le faire officieusement, sans sorir de ses instructions, et cela nous euit .tre Irs utile. Quoi qu'il en soit, ces revolutionnaires furent certainement tres mal inspires dans le choix du pavilion sous lequel ils s'abri- terent, quand on songe qu'ils pouvaicnt, h deux pas, dans la maison voisine, trouver, come tant d'autres de leurs coreligion- naires, un asile absolument inviolable sous le pavilion francais. Et ne peut-on, pas pen- ser qu'en les acceptant le Gouie*nement 2-S2 - Linericain, ainsi que cela s;'tait pratique jusqu'a ce jour, avait fait avec eux le contract tacite de les protdger ? Cette facon brutale, miserable de les livrer, ne merite-t-elle pas la reprobation la plus s6v6re ? '.Certes, il est h presumer que le Gonver- neinent americain ne pouvait supposed que l'autorit6 haitienne allait procdder, plu- sieurs jours s'6tant dcoulds depuis la reddi- tion de la place,-- a l'exdcution sommaire de cc malheureux. Autrement, il ne les eit pas livres. En les livrant, il nous faisait I'honneur de nous traiter comme un Gou- vernement civilis6 et il devait croire que ces rivolutionnaires, pour coupables qu'ils fussent, seraientjuges et punis dans les formes'de la loi. Aussi l'indignalion fut grande contre nous. On perdit du coup tout le terrain qu'on avait gagn ah Washing- ton. Les autres l1gations se fortifierent dans leur resolution de ne pas imiter les Etats-Unis, mime si le Gouvernement don- nait les plus formelles garanties, et de main- tnir feornrtnent letur deliande d!embara quement de leurs refugies,, Notre conduite, en dehors h-a question d'humanitd, qui ne pese malheureosement guere dans notre politique, dtait tout' fait inintelligente, je le repete, au point de vue de notre interet mnme. Cet intiert nous commandait de ne pas reconnaitre, a notre tour, do cette fagon la 1lgitimite de notre droit do rcclamer les insurgds. En agissant avec cette hate, nous mettions la grande nation, qui s'inclinait devant ce droit, dans une situation de complicity dans notre acle. C'dtait, au moins, un devoir de biensdance i remplir vis-a-vis d'ellede rester humans et gendreux. Et puisque le Gouvernement poursuivait la remise de M. Firmin ot de ses amis rdfugids au consulate francais des Gonaives, son interet lui commandait, sans hesitation, de faire taire tout sentiment de represailles pour meriter l'appui des Etats- Unis dans ses ndgo'iations.D e faith, ii reclama ultIrieurementcet appui. 11 crut avoir quel- -26- que droit d'y computer apres ce qu'avait fait pour lui le people americain. On le lui refusal avec ies commentaires prevus, parce qu'au- cun gouvernement ne peut consentir a livrer un r6fugie politique que la mort, le seuil de la porte protectrice franchi, attend sans remission. L'exdcution sommaire de Saint-Marc fut done un acte essentiellement maladroit. Le coup de tedlphone qui, dit-on, d'ordre du president, partit de son cabinet pour Saint-Marc Fheure meme de I'arrivie du cablogramme de Washington h M. Furniss fut, en dehors de toute autre consideration, impolitique, inhabile et gratuitement inhu- main. Le general Nord Alexis, au regard de tout l'avantage moral que son Gouvernement allait retire de la remise par les Elats-Unis des refugies du consulate de Saint-Marc, aurait dA, en cette circonstance, s'elever au-dessus des vieilles traditions de son pays et de sa carriere. I1 6tait en face d'une - 27 - nation civilis6e, on traitait avec lui d'6gal h 6gal. Sans rien lui demander, et pour la premiere fois en Haiti, on remettait a sa discretion des r6volutionnaires abrites sous un pavilion 6tranger... Ah! qu'il eit Wte hien inspired de songer que ce n'etait plus la chose courante, banale, d'une fusillade qu'il avait devant lui, mais de la belle, de la grande histoire, de l'histoire mondiale, qu'on lui offrait les moyens d'ecrire! Qu'il edt 6te bien inspire de songer qu'il n'avait plus seulement en face de lui des criminals, inais surtout les representants d'un grand people !... Ils se rdjouissaient de sa vic- toire, ils lui cablaient leurs felicitations et, l'estimant digne de son succ6s, ils comnmet- taient en sa faveur un acte qui, s'il n'avait pas eu cette triste fin, soutenu par eux, aurait pu qui sait ? Otre imite par les autres nations I Il eut le malheur de ne pas comprendre sa bonne forturie. - 28- II Cependant il faltait faire le jour sur les operations financieres de 1'insurrection qui, durant qu'elle occupait les villes des Gonaives, de Saint-Marc et de Port-de-Paix, s'6tait emparde des recettes publiques. J'dcrivis, pour arriver a cette fin, la d6peche suivante : Port-au-Prince, Ic 10 [dvrier 1908. A Messieurs Alexandre Lilavois, LBon Nau et Ed. Dauphin. Messieurs et chers Concitoyens, Le Gouvernement desire 6tre fix6 d'une maniere absolument exacte sur les operations effectuees dans les Administrations de Saint- Marc, Gonaives et Port-de-Paix pendant la duree de 1'insurrection. Il imported que la lumiere soit faite sur ces operations. Le Gouvernement me charge de vous annon- - 29 - cer qu'il a faith choix de vous pour remplir cette important mission et, A cette fin, pleins pon- voirs vous sont accords. Vous vous ferez done remettre les livres de l'Administration des finances, de la Douane, du Bureau de pavement et de celui de la Recette et de la D6pense, et tous autres documents susceptibles de faciliter votre tache. Vous interrogerez tous ceux qui pourront, a un titre quelconque, Vous renseigner a l'6gard des fails sur lesquels vos investigations devront (tre porltes. J'ai dcrit aux autorites desdites villes de vous preter tout le concours necessaire pour vous permettre de mener a bonne fin ce tra- vail entierement de confiance. Veuillez agreer, Messieurs, les assurances do ma consideration distinguee. F. IAIncELIN. Le 19 f6vrier 1908, le Moniteur part avec la note ci-apris : Secr6tairerie d'Etat de l'int6rieur. Le lundi 17 f6vrier courant, 'M. Pauleus Sannon a Wt6 relev6 de ses functions de Secre- taire d'Etat des relations exterieures et des - 30 - cultes. A la stupefaction du public, il s'est r6fu- gi6 A la 16gation de France. L'ex-Secretaire d'Etat a fait circuler le bruit que sa revocation est motive par des diver- gences de vues entire le President de la R6pu- blique et lui sur la question du droit d'asile. Le Gouvernement declare qu'il n'a jamais exist dans son sein de discussion contradic- toire au sujet du droit d'asile. Au contraire, M. P. Sannon a toujours affirmn partager pleinement et sans restriction les vues exprimees par le Gouvernement, ;i savoir que le droit d'asile est, suivant toutes les autorites du droit international, une exten- sion abusive d'une fiction juridique que tous les pays rejettent actuellement et que, 6tendu aux criminals de droit commun, cet abus cons- litue, en outre, une atteinte grave a la souve- rainet6 de la nation haitienne, aussi bien dans le cas actuel que dans tous les autres qui ont pu le preceder. Et la seule question qui, au dire de M. San- non, occupait le ministry de France, c'6tait celle,de la cl6mence pr6sidentielle a exercer en faveur des refugies, avant mime tout juge- ment. 11 6tait evidqnt qu'on nc pouvait faire autrement que de laisser partif pour 1' tran- - 31 - ger les rdfugids du consulate des Gonaives. Le doute n'etait pas permits. AprBs ce qui s'etait passe A Saint-Marc, c'etait la certi- tude absolue que jamais la France ne con- sentirait h les livrer au Gouvernement. Ce noble et grand pays n'irait pas, en notre faveur, trahir son pass, renier des traditions qui sont sa gloire parmi toutes les nations du monde. Et pour quel rdsultat? Pour meriter les reproches que l'on adressait au Gouver- nement amdricain et: son ministry d'avoir, d'accord avec le general Nord Alexis, fait fusiller sommairement les r6fugids de Saint- Marc... Le President de la R6publique, dans sa conviction absolue que les revolutionnaires devaient subir le chAtiment du crime d'avoir provoqud la guerre civil, trouvait non seu- lement natural, mais du devpir des nations en relations avec le pays, de remettre leurs r6fugies. I! qualifiait leur attitude d'hostilite, de corppliciti avec les faupurs de troubles. Nul doute que souvent I'idce de les faire - 32 - prendre de force n'ait traverse son esprit. On comprend dans quelles perplexitds ses ministres vivaient. Its dtaient toujours sous l'appr6hension d'une decision fatale qui aurait pu avoir pour tout le monde les plus graves cons6quences... Et, d'un autre c6td, on n'etait pas sans inquidtude de garder dans son sein ce foyer d'incendie qui pou- :vait h tout instant, en attisant des flames mal eteintes, propager une conflagration nouvelle. Mais, si on appuyait sur ce c6td de la question, le general Nord triomphait. Alors it repondait: a Vous voyez qu'il faut en finir. 11 faut les prendre de force. Ces paroles imprudentes tombaient dans des oreilles de militaires inconscients ou de gens tares, pr6ts a bitir la-dessus des plans inquietalfts. Peut-6tre que des le ddbut 1'orientation du DBpartement des Relations extdrieures fut mauvaise : it semble que, sans grande confiance dans*son succes possible pros de la 16gation de France, il ait pourtant laissd - 33 - le President s'accoutumer a cette idee que. son droit Btant indubitable, tOt ou tard il serait reconnu. C'etait nnefaiblesse dange- reuse avec le g6ndral Nord, don't l'opini-' tret6 et l'inflexibilit6, quand il s'agissait de conspirateurs, n'wtaient que trip connues. II fallait assur6ment pour let26partement reclamer les rIfugids : question de pri S .Mais il fallait aussi faire comprendre au President que la France ne les lui remet- trait pas, non point, certes, par un senti- ment de sympathie pour eux, mais unique- ment parce qu'il y avait la1 une tradition d'humanit6 que rien ne ferait flechir, et que, du reste, ce grand pays avait toujours cntendu garder comme le dernier signe de sa puissance chez nous. Le President de la Republiqu. me char- gea de l'int6rim du D6partement des Rela- tions extdrieures. Voici les premieres dep6- ches qui furent 6changdes avec la legation de France ; LiOATION DE FRANOE EN HAITI REPUBLIQUE FRANMAISE Port-au-Prince, le 17 1fvrier 1908. A Son Excellence M.. Marcelin, Secretaire d'Etat des finances et du commerce, charge du d6partement des relations exterieures. Monsieur le Secr6taire d'Etat, J'ai 1'hqnneur de vous informer que M. Pau- l6us Sannon, Secr6taire d'Etat d6missionnaire des relations exterieures, est venu demander asile la 16gation de France. M. Sannon desirerait obtenir de Son Excel- lence le President de la R6publique un passe- port pour se rendre a 1'6tranger. Je vous serai reconnaissant de vouloir bien me faire con- naitre, la suite qui aura Wet donnee a la demanded de votre ancien colligue. Veufez. agreer, etc. P. CARTERON. SECIITAIRERIE D'ETAT DES RELATIONS EXTERIEURES Port-au-Prince, le 18 Jdvrier -1908. A Son Excellence M. Pierre Carteron, envoy extraordinaire et ministry pl6nipo- tentiaire de la R1publique Francaise a Port- au Prince. Monsieur le Ministre, J'ai l'honneur de vous accuser reception de votre d6ppche du 17 f6vrier courant, pfLr laquelle vous m'annoncez que M. Paul6us San- non, relev6 de ses functions de Secr6taire d'Etat des relations exterieures par Son Excel- lence le President de la R1publique, est venu demander asile a votre 16gation. Vous ajoutez que M. Sannon desire un passport, p se rendre a 1'6tranger.- -. Je regretted de vous dire qu'il ne p ke donn6 aucune suite a la demand de NM.I n- non qui pouvait certainement r6clamer sonr passport de chez lui et de lui-mmme. SVeuillez agreer, Monsieur le Secr6taire d'Etat, les assurances de ma haute consid6ra- tion. F. MARC~LN. fiAtliOx biL i4iLAMUi EN HAITI Port-au-Prince, le 17 ~C'vrier AIO. NOTE Le soussign6, se rdfdrant I sa note verbale dut 8 de ce mois, a 1'honneur d'informer Son Excellence M. le Secr6taire .d'Etat charge du department des relations ext6rieures qu'il a recu de son Gouvernement l'ordre d'insister auprus du Gouvernement haitien pour que 1'enbarquement des rebelles r6fugids a l'agen- 0'unsulaire de France aux' Gonaives soil I tu6 moyennant la declaration solennello de ceux-ci devant les autorit6s francaises de he point tenter de rentrer en Haiti durant la Pr6sidence de Son Excellence c1 g6ndral Nord Alexis. II.fait observer qu'aucune declaration de cc genre n'a jamais 0t6 reclamne a des insurgds et qu'en la faisant signer par ceux qui ont demand asile a l'agence consulaire de France aux Gonalves, la lgation, pleinement approu- vee par le Gouvernement de la Republique frangaise, t6moigne d'une ddf6rence particu- liere envers le Gouvernement de Son Excel- lence le g6ndral Nord Alexis. Le soussignd fait remarquer, d'autre part, que ladite declaration, qui concilie entibrement les int6rcts de l'humanit6 et les droits de la souverainet6 national et don't le texle a. communique officieusement par lui le 2 ' h Son Excellence M. Paul6us Sannon, signee dBs le t1 de ce mois par tous les r gies a l'exception de trois. En consequence, il demand de la fagon la plus pressante qu'il soit d6fer6 au d6sir amica- lement exprim6 par le Gouvernement frangais ct que lesdits refugims soient autorises, dans le plus bref d6lai possible, a s'embarqdier a bord du croiseur le D'Estrdes, de la marine fratV- Caise, qui les conduira a Saint-Thomas. .. II ajoute que des que cette autorisation aura Wt6 accordee, il remettra au Gouvernement hai- tien le document en question qui pourra 8tre public au Moniteur. Le soussigne croit devoir declarer pour cou- per court h certain bruits qui ont circule que le Gouvernement frangais, fiddle a ses tradi- tions, ne saurait remettre aux autorites hai- tiennes les refugi6s don't il s'agit, au cas oft la demand lui en serait faite, quelles que soient d'ailleurs, les garanties qui seraient donn6es en leur faveur. P. CARTERON. 3 . DECLARATION Les soussign6s r6fugi6s a l'agence consulaire de France aux Gonaives h la suite des 6v6ne- ments don't cette ville a 6t le theatre le 27 jan- vier 1908 prennent devant M. le capitaine de fr6gate Jourden, commandant du croiseur le D'Estrees, de la marine frangaise, et devant M. Lancelot, agent consulaire de France aux Gonaives, I'engagement d'honneur de ne pas cherclher & rentrer sur le territoire haitien tant que Son Excellence le g6nnral Nord Alexis sera President de la Rdpublique d'Haiti. Ils d6clarent en outre que si malgr6 cet engagement formel ils pnrietrent sur ledit ter- ritoire, ce sera & leurs risques et perils et que sous aucun pretexte ils ne pourront pr6tendre A recevoir asile dans une legation, un consulate ou une agence consulaire de quelque puis- sance que ce soit, cet asile devant, d'ailleurs, leur 6tre absolument refuse. 19 16vrier 1908. NOTE Le soussigne, en reponse a la note que Son Excellence M. le Ministre de France lui a adressde a la date du 17 de ce mois, ne peut que rappeler que le droit de 1'Etat haitien est indiscutable et qu'il est necessaire que la jus- tice- se prononce sur le sort des criminals de droit commun-rkfugi6s a i'agence consulaire de France aux Gonaives. L'instruction du pro- ces, au reste, a commence. Le Goirvernement haitien regrette done. de ne pouvoir d6f6rer au d6sir, amicalement exprim6 par le Gouvernement frangais, d'au- toriser l'embarquement desdits r6fugi6s le plus t6t possible a bord du croiseur. le .Da.-. trdes : ie sotci de la sdtiritd interieur.e'itet et le respect de la justice' obligent .6galeme t di n'y pas d6ferer. Le soussigne' espere qUe ces consideratibos auront tout leu'r pbids aupris du Gouverne- ment de la R~publique Frangaise. P. MARCELIN. -40- LEGATION DE IIANCE EN HAITI Port-au-Prince, le 21 [Cvrier 1908. A Son Excellence M. F. Marcelin, Secr6taire d'Etat des finances et du commerce, charge du d6partement des relations extdrieures. NOTE Le soussign6 a 1'honneur d'accuser r6cep- tion a Son Excellence M. le Secr6taire d'Etat, charge de l'int6rim du ddpartement des rela- tions extdrieures, de la note qu'il lui a adres- s6e -le 19 de ce mois en r6ponse a celle de la Idgation de France en date du 17 f6vrier. I1 n'a garde de contester ah lEtat haitien le droit d'ouvrir une instruction judiciaire sur les vinrements insurrectionnels qui se sont rdcemment products dans l'Artibonite. Mais comme la procedure qui interviendra A l'dgard des refugi6s a l'agence consulaire de France aux Gonaives ne pourra ~tre qu'une procedure par contumace, il croit devoir rappeler a ce propos ce qu'il 6crivait dans sa note verbale du 8 fevrier, a savoir que les jugements rendus par contumace ne pourraient 8tre executes contre lesdits refugies ( ceux-ci 6tant prot6- 41* - g6s par le seul fait de leur presence dans la maison consulaire de France : 11 fait observer que cette impossibility, recon- nue, avouee, constat6e par 1'emploi meme de ]a procedure susvisee, aurait quelque chose de penible pour 1'amour-propre du Gouvernement ha'tien et qu'h ce point de vue seul ii serait. preferable que le process ne ffit introduit con- tre les insurg6s que lorsqu'ils auraient quitt6 Haiti et se trouveraient sur un territoire 6tran- ger. En ce qui concern, d'autre part, la d6nomi- nation de ( criminal de droit commun n, appli- quee aux r6volutionnaires qui ont recu asile a l'agence consulaire de France aux Gonalves, le soussign6 estime qu'elle est inexacte. Ces revolutionnaires sont en effet des prd- venus politiques et s'ils ont commis des cri- mes de droit commun, il suffira de rappeler qu'en matiere d'extradition il est de regle g6ndrale qu'on n'extrade pas pour un fait con- nexe a un delit politique ; le d6lit connexe est en effet consider comme suivant le sort du ddlit principal et est exclu par suite de 1'ex- tradition. Si ces pr6tendus criminals de droit commun s'6taient refugi6s a la Martinique, par example, et s'il existait un trait d'extradition entire la France et Haiti, il ne viendrait certai- nement pas a l'esprit du Gouvernement hai- -42-- tien de les r6clamer, Par consequent et par assimilation avec la rbgle ci-dessus 6nonc6e et universellement admise, le Golyernement hai- tien ne pourrait rclamner les insurges en ques- tion qui sont entries A l'agence consulaire de France aux Gonaives en vertu de traditions anciennes, inveterdes en quelque sorte, les- quelles ont leur raison d'6tre, de subsister dans un pays aussi frdquemment trouble qu'Haiti, :et dnt, au surplus, ont largement b6nefici6 nombre de personnages qui, accuses, eux aussi, par leurs adversaires. victorieux, de crimes de droit common, .ont df la vie a l'attitude de.la legation de France, .eptierement d'accord avec le Gouvernement frangais, et ont occupy plus tard de. hautes situations dans: l'Etat. Quant a la note qui a paru en tote du Moni- tear du 20 de ce mois, le soussign6, don't 1'opi- nion personnelle est, d'ailleurs, connue de lon- gue date par les d6partements des relations ext6rieures et de I'interieur, estime, d'accorcj avec elle, que le droit d'asile doit Atre r6gle- ment6. Mais il estime aussi et il c.roit que la pl.- part de ses colleagues partagent son opinion - que le cas des refugids dans les agencep con- sulaires etrangbres doit recevoii aujpurd'hui une solution conforme aux preddents -et que -43- la r6forme du droit d'asile ne peut 6tre s6rieu- sement et impartialement 6tudiee que.lorsque le pays aura retrouv6 un came absolu. En r6sum6, le soussign6 considrre que les' lois de 1'hospitalit6, les exigences de l'huma- nit6, les sentiments natures k l'homme,- sans parlor de la tradition, se r6unissent pour 6car- ter touted requete qui serait faite par le Gou- vernement haitien en vue d'obtenir la remise des refugi6s politiques don't il s'agit et que l'on s'efforce en vain de faire passer pour des cri- minels de droit commun. Dans ces conditions et sous le b6nefice des observations qui precedent, il ne peut que maintenir.la demand qu'il a formulee, au nom de son Gouvernement, relativement a I'embar- quement sur le D'Estrkes de ces r6fugids moyennant la signature par eux de la declara- tion don't le texte a W6t communique offlcieu- sement des le 2 f6vrier aux Secretaires d'Etat des relations extdrieures et de l'int6rieur et qui donne, en attendant la reforme du droit d'asile, toute satisfaction h l'amour-propre du Gouvernement haitien, come at PhumanitW, & l'6quit6 et a la justice. Le soussign6 saisit cette occasion pour renouveler h M. le Secr6taire d'Etat intdri- maire des relations ext6rieures l'expression do- sa haute consideration. P. CARTIRON. 4,- ^< - 44 - Le 23 f6vrier, M. Carteron me fit une lon- gue visit a ma demeure privee. Apres son depart, je notai textuellement notre conver- sation. Le lendemain, je la lus au President. Voici cette note : 23 Ivrier. VISIT DE M. CARTERON II declare, encore une fois, qu'il faut prendre une decision. La France ne remettra jamais les rdfugies. Discussion habituelle sur le sujet. M. Carteron dit que 1'Angleterre et l'Allemagne sont d'accord avec la France. Comment cela finira-t-il ? Il n'est pas besoin d'etre prophete pour le deviner, ce sera dans le sens des'grin- des puissances. N'avez-vous pas recu hier la note du con- sul general d'Angleterre au nom de son Gou- vernement ? demande-t-il. Mais, ajoute M. Carteron, je veux, et c'est mon d6sir constant, montrer au Gouverne- ment toute notre moderation. J'ai regu un nouveau cable de mon Gouvernement, provo- qu6 par un des miens : la France persist, et cela, je vous assure, ne variera jamais, a ne pas remettre. Cependant, mon Gouvernement - 45:- me dit de, maintenir le statu quo, c'est-'-dire- que puisque le Gouvernement haitien. ne veut pas permettre 1'embarquement, de garder les r6fugi6s au consulate des Gonaives. A ce passage de ma lecture, le general Nord posa la main sur mon bras et, me dit: ( Je vous fais cette reflexion : c'est que les grandes puissances donnent leur appui moral a la France, mais pas plus. Et que si elle s'est. resolue a cette politique expectante, si elle se borne a ce role d'at- tendre. c'est qu'elle a peur de s'engager dans une nouvelle affaire, ayant celle deji du Maroc. M. Pichon a df recominander la prudence h M. Carteron, surtout en ce-mo- ment' oi les affaires du Maroc sont si vive- ment critiquees, en France, dans les Cham- bres. Si la 1dgation ne remet pas, du moins elle est dans l'impossibilit6 de conseiller un coup de force, a, moins d'avoir l'assistance de l'Allemagne.et de,'Angleterre, qui, jus- qu'ih present, ne soutiennent que morale- - 46,- ment, Encore ce soutien moral de !'Allema-, gne ne me paraft pas nettement d6termind. a Cependant, President, cet appui moral est une chose 6norme et don't il faut tenir compete. J'ajoute que tout cela est scabreux et que la situation peut se rdevler, tras grave inopiDnment. Je repris ma lecture.; Voil done un point acquis, dis-je h M. Carteron : votre Gouvernement gardera les rdfugi6s.., Oui, reprit Mr Carteron, jusqis c. qu, vous vous lassiez, come vous vous 8tes lass6 avec Cauvin, Malebranche, etc., etc. Mais es-O' ce une situation cela ? Non, elle n'est pas tena- ble, ni pou:, vous, ni pour nous. Elle est meme grosse de perils pour vous. RIflchissM biepn,. grosse de perils pour vous. Ils sopt en ce rhoment soixante-dix-sept r6fugi6s au consulate francais. Si vous gardez ces gens-la enoorei longtemps, je ne sais pas ce qui peut, arriver. Ce sera dans votre sein un foyer d'ifcendie et. gare aux Atincelles Mais tout cela, c'est votre affaire et je ne veux pas m6me vous dire que, dans mon opinion, la remise de ces gens et leur execution -eit 6t6 pour vous une grande,, - 47 - cause d'affaiblissement, car il faut computer avec la pitie.., Je ne puis que vous rep6ter, encore de prendre garde, de no pas trop surexciter les passions, car ii y a peut-8tre des choses que vous ne savez pas, Vous me traitez en adversaire, vous avez tort, je suis. un ami, un sincere admirateur de votre chef d'Etat que j'estime pour son haut caractrre. Cependant tout a une limited, meme la chance... 'Mais ce nest pas pour cela que je suis venu. Nous allons causer si vous voulez. Seulement no dites pas encore au President ce don't nous allons causer, a moins que cela ne puisse pro- fiter h la solution que je vais vous proposer. Du rest, tout n'est pas encore bien arrWte dans mon esprit. Je reviendrai vous voir mer- credi prochain. Jusque-la, n'en parlez pas au President. Voici un canevas, un embryon de canvas' sur lequel on pourrait travailler. Nous avons done soixante-dix-sept refugids aux Gonalves. J'estime que dans ce nombre une vingtaine pourrait encore sortir. Mais ceux-l hesitent, car ils trouvent que la piece du general Cyria-; que n'est pas sufflsante pour leur garantie., Ou le Pr6sident directement, ou moi, qui iraig. aux Gonalves, arriverions a les rassurer, II resterait done aprbs la sortie de ces vingt, cin- quante-sept environ. Eh -bien :I j'estime qu'onl - 48 - pourrait trier encore une vingtaine qu'on embarquerait. Les vingt-sept restants consti- tuant les chefs, Firmin et autres, seraient gardes au consulate des Gonalves. Vous conti- nueriez a les r6clamer, nous continuerions at dire qu'on ne peut pas les remettre, jusqu'a ce qu'un jour peut-Otre une solution arrive. Aucune pression ne serait done. faite sur vous. Vous auriez sauvegard6. votre dignity. Le droit que vous reclamez serait intact sans computer qu'il vous serait plus facile, et sans danger pour la paix publique, de garder vingt- sept individus. Ce serait done trois branches qu'il s'agirait d'6tablir, G'est ce que je vous propose. Mais ce n'est pas encore bien mtri dans, mon esprit. A mer- credi, je vous dirai nettement ce qui en est. RIeprenant la question du droit d'asile, 'M Car- teron declare que ce droit va 6tre r6glement6, mais sur les bases suivantes : les. consulats et allegations continueront a tenir leurs portes ouvertes. Mais il sera bien entendu d6sormais que les refugies en armes contre le-gouverne- ment, qui y auraient trouv6 refuge, seraient remis au gouvernement, ausisit6t le came r6ta- bli, pour Utre jug6s conform6ment aux lois et a. la constitution. On les sauverait ainsi des jugements sommaires et de l'exaltation de la premiBre heure, tout en sauvegardant les droits - 49.- de l'Etat et l'interet public qui veut que les fau- teurs de troubles soient ch&ties. Nous avons ensuite abord6 la question Paultus Sannon. M. Carteron m'a demand : ( Pourquoi le gouvernement ne veut-il pas permettre l'embar- quement de Sannon qui n'a rien a sa charge quand il a permis l'embarquement de Petion Pierre-Andre,'accuse de trahison ? ) Je lui ai repondu que non bis repetita pla- cent, et que le gouvernement, comme je le lui ai 6crit, ne veut pas que ce precedent s'implante de ministres relev6s de- leurs functions et courant chercher un refuge a la 16gation ; qu'il voit I une sorte de mise en scene nuisible a Ia paix publique; que Pauleus n'a qu'une chose a faire : sortir de la 1.gation. Eh bien! nous en causerons mercredi. Mais que lui promettez-vous ? Je prendrai les instructions du President a ce sujet.,Je pense qu'il m'autorisera a lui. faire savoir, soit par vous, soit directement, qu'il peut. aller chez lui, et que, dans quinze jours, par example, il lui sera donn6 un passe- port pour se rendre a l'etranger, s'il persiste toujours a partir, ce que je ne crois pas n6ces- saire. II sera recu avant son depart par le Prd- sident, qui lui dira, certes, qu'il a mal agi, mais qui, certainement; ne lui gardera pas ran- cune. Hum et rien ne lui arrivera ? Quand le President aura dit oui, ce sera oui. Le Pr6sident n'a qu'une parole, et, s'il la donne, e'est sacred. C'est ce que l'on dit, et je le crois. A mer- credi done. Apres avoir lu cette note, j'ajoutai: Tel est, President, le recit textuel do ma conversation avec M. Carteron. J'ai tenu h vous la rapporter fidelement, car je crois qu'elle en vaut la peine... Pourquoi ne.pas accepter les trois trenches qu'il propose? Ah! vraiment... Et la derniere tran- che, la plus important, la tranche Fir- min, le nanan, resterait aux Gonaives jus- qu'au 15 mai prochain, h point nomme pour les elections pr6sidentielles... M., Carteron est malin, mais je suis malin aussi. Quelques jours apres, le cas de M. Pauldus Sannon fut r6gld par ces deux deplches LEGATION DE FRANCE EN HAITI Port-au-Prince, le 26 1dvrier 1908. Son Excellence M. F. Marcelin, Secr6taire d'Etat des finances et du commerce, charge du d6partement des relations exterieures. Monsieur le Secrtaire d'Etat, En me r6f6rant A notre conversation de ce matin, j'ai 1'honneur de vousi confirmer que M. Pauleus Sannon, ancien Secr6taire d'Etat' des relations exterieures, est dispose h quitter la Legation de France et A rentrer chez lui. Toutefois, il' me serait agr6able de reoevoir I'assuranoe qu'il ne sera inquiet6 en quoi que ce soit et qu'on lui delivrera un passport des qu'il en fera la demand. M. Pauleus Sannon desire, en effect, pour les raisons que ja vous ai exposes, partir A la premiere occasion pour Kingstown et y faire un s6jour. Veuillez agreer, Monsieur le Secr6taire d'Etat, les assurances de ma haute consid6ra- tion. P. CARTBRON. -: [. C . - 52- Port-au-Prince, le 27 fTvrier 1908. Son Excellence M. Pierre Carteron, Envoy6 extraordinaire et .Ministre pl6nipotentiaire de la R'tpublique francaise Port-au-Prince. Monsieur le Ministre, J'ai 1'honneur de vous accuser reception de votre lettre en date d'hier, par laquelle vous me mandez que M. Pauleus Sannon, ancien Secrd- taire d'Etat des relations exterieures, est dispose h quitter la legation de France et h. renter chez lui. Le Gouvernement, auquel je n'ai pas, manqu6 de faire part de oette communication, en a. pris bonne note et je suis en measure do, vous repondre A cet regard que M. Sannon peut ren- Irer chez lui en toute s6curit6 : il ne sera point inquidte, Veuillez agree, Monsieur le Ministre, etc... F. MARCELIN. Ce qui devait infailliblement se produire Spuisque c'est la r6gle chez nous aprbs chaque insurrection on revolution se produisit cette fois encore : les lIgations rdclamaient pour les pertes subies par leurs ressortissants durant la revblte Jean Jumeau- Firmin. Le Ddpartement des Relations ext&- rieures repoussa 6nergiquement cette pre- tention. Voici la correspondence dchang6e a ce sujet avec la legation de France : LtCATION DE FRANCE EN HAITI Port-au-Prince, le 26 fdvrier 1908. Son Excellence M. F. Marcelin, Secr6taire d'Etat des finances et du commerce, charge du d6partement des relations exterieures. Monsieur le Secr6taire d'Etat, En me r6ifrant h une lettre particulire .que j'ai adress6e le 15 de ce mois & M. Pauldus Sannon, j'ai I'honneur de vous transmettre sous ce pli copies de lettres adressees A M. l'agent consulaire de France h SaintrMarc, par les personnel suivantes, de nationality frangaise : M. Clesca, Mm" W. Gloumeau, M. P. Florent, M. Emile Miot, 'M"6 Page. Comme vous le verrez, ces personnel pr.- sentent des reclamations pour les pertes qu'elles ont 6prouv6es duw chef d'incendies et de pillages, .dans la journ6e du 19.janvier dernier & Saint-Marc. Je vous serai qblig6 de bien vouloir prendre note de ces r6clamations. - 54 - Veuillez agreer, Monsieur le Secrtaire d'Etat, les assurances de. ma haute considra- tion. P. CARTERON. Port-au-Prince, le.3 mars i908. Son Excellence M. Pierre Carteron, EnvoyA extraordinaire et Ministre plenipotentiaire de la R6publique franCaise A Port-au-Prince. Monsieur le Ministre, Ce d6partement a bien recu la lettre, en date du 26 fdvrier dernier, par laquelle vou.s lui transmettez copies des lettres adress6es a M. 1'agent consulaire de France a Saint-Marc par quelques.uns de vos ressortissants pour les pertes qu'ils auraient. Aprouvees du. chef d'incendies et de pillages dans la journ6e du 19 janvier dernier & Saint-Marc. En reponse h cette communication, le dl6par- temnt s'empresse de vous mettre sous les yeux l'article 185, .deuxieme alinha, de la Cons- titution qui nous r6git actuellement et qui dispose que : 4 En cas de pertes Bprouvees par suite de troubles divils et politiqufes, nul Haltien ou stranger ne peut pr6tendre h aucune indem- nitd. Cependant, il'sera facultatif aux parties les6es dans ces troubles de poursuivre par- devant les tribunaux,. eonform.ment a la loi, les .individus .reconnus- les auteurs des, torts causes afin d'en obtenir .justice et reparation 16gale... Cet article prdvoygnb.Jle cas qii. a fait 1'obje., de .votre communication du 4g fvrijr, ,il est evident que'les, auteurs, ainsi que~:.tQus ceux. qui.ont pret6 leur appui aiux insur'gs, c'est-4- dire ceux qui leur ont donn6' de l'argent oun des armes, en un mot .les complices,. a quelque litre que ce soit, des faits don't se plaignent yes. ressortissants, restent tenus, de par la loi, de r6parer les.torts causes. . Veuillez agr6er, Monsi.eqr le Miaistre, les assurances de ma haute consideration, S. MARCEIN. . TiGOATION DE FRANCE SEN I VIT[ Porl-au-Prince, le 4 mars 1908. Monsieur li SecrEtaire d'Etat, J'ai .'honaeur d'aceuser reception h~ Votre ,xcelllnoe( de sa lettre en date d'hier relative aux r6elamations que plusieurs ressortissants franQais residant Saint-Miarc out formulees pour les pertes 6prouvees par eux du chef d'incondies et de pillages dans la journ6e du 19 janvier dernier. -56- Votre Excellence veut bien A e, propos placer sois mes yeux l'article 185, deuxibme alin6a, de la Constitution, off il est dit : ( Qu'il sera facultatif aux parties lIs6es dans des troubles civils et politiques de poursuivre devant les tribunaux, conformement A la loi, les individus reconnus les auteurs des torts causes afin d'en obtenir justice et reparation legale.)), Je connais cette disposition de la Constitu- tion ; mais je n'ai pas voulu et je ne veux pas examiner s'il convient que mes ressortissants poursuivent devant les tribunaux les auteurs des prejudices don't ils ont souffert, car ceux-ci ne paraissent pas, pour le moment du moins, s'~tre trouv6s dans les rangs des insurg6s.. Je me permets seulement de vous rappeler la lettre en date du 29 janvier 1903 que M. J6rM- mie, Secr6taire d'Etat des relations extkrieu- res, a adressee h cette LAgation au sujet des incendies et pillages du Petit-Goave. Vous y releverez les passages suivants : ( Je m'estime honored de porter & votre con- naissancc que le Gouvernement du 21 d6cem- bre, a peine install, pense a reparer dans la measure de ses moyens les pertes occasionnees par la dernibre guerre civile... Si un ou plusieurs de vos ressortissants ont eprouvW des perles, je vous prie de croire qu'ils ne seront pas n6gligs aUl .liYsoii, votre L6gation voudra bien les signaled l' at- tion de ce 'dpartement. Le gouvernement dei Son Excellence le general Nord Alexis, ayant, des son installation, pris la gnadreuse decision de rdparer les pertes occasionndes par une guerre civil antdrieure ei son avenement, ne peut manquef' de s'inspi- rer de ce precedent et de songer h indemniser les (( victims innocentes ) d'6venenents. qui so sont products pendant qu'il dtlenait le pou- voir. C'est dans celle persuasion que j'ai pris la 'ibertL d'introduire, par mes d6peches des 26 fIvrier et 2 de ce mois, les rhclamations de mes compatriotes de Saint-Marc, en priant Votre Excellence d'en prendre bonne note. Veuillez agrder... P. CARTERON. A cette deipchc, Ic Departement se con- tenta de maintenir sa faon de voir, aucun precedent ne pouvant pyrvaloir contre la Constitution. Reprenons la correspondence a propose des rifugi6s au consulate des Gonaives: - 57 LtUGAfION 1)E 1FANCE EN HAITI Port-au-Prince, le 6 mars 1908. Soh Excellence M. F. Marcelin, .Secr6taire d'Etat des finances et du commerce, charge. du departenent des relations, exterieures, etc., etc. Mon cher Ministre, Je vous envoie ci-joint ma quatrieme note verbale relative aux r6fugi,6s. Esp6rons. que ce sera la dernibre ! Le President, au course de 1'audience qu'il m'a accord&e le 4 f6vrier, m'a dit devant vous que, pour le moment, il ne pouvait accorder! auxdits r6fugies l'autorisation de s'embarquer. 11 me semble que cc moment est arrive aujour- d'hui, et je me permets de vous dire, en toute franchise, que si S. Exc. le- g6nral Nord Alexis ne d6fere pas h la demand tout amicale, quatre jois deja formulde du' Gouvernem&nt frangais, celui-ci en sera tres facheusement Simpressionn.6. . Je crois devoir ajouter que, d'apres un t l - g8ranmme recu ce matin de M. Pichon, M. Ldger a &6t informed. par M. Jusserand que notre d4ci-z siou do ne pas livrer les r6fugi6s, est for- melle, quelles que, soient, d'ailleurs, les garanties' ffertes par le Gouvernement hiatien et qtle si ceux-ci ne peuivent obtenir la per- mission de s'embarquer, ils resteront-A 1'agence consulaire de France aux Gonaives. Voi'l-, je pense, qui est net et pr6cis et qui coupe court definitivement a tous les bruits plus ou moins interesses qui circulent au sujet de la remise possible des rebelles par le GoUvernement frangais. Joignez-vous done 6nergiquement, mon cher Ministre, a ceux et ils sont nombreux et ils sont important qui conseillent au Presi- dent d'dcouter les propositions. pratiques a tous 6gards d'une nation amie. Rpondez-moi que l'autorisation, de depart par le Qudbec, le 14, est enfin aCcordde. Veuillez agreer, mon cher Ministre, les assurances de mes sentiments, les mtilleurs. P. iARTIFtON. Je viendrai vous voir au ministere demairi samedi, vers midi moins le quart, sauf cohtre- avis de votre part. P. G. LOCATION DE FRANCE EN HAITI Port-au-Prince, le 6 mars 1908: Son Excellence M. F. Marcelin, Secrdtaire d'Etat des finances et du commerce, charge du department des relations ext6rietires, etc., etc. Mon cher Ministre, Le commandant du D'Estrees me, demand i'autorisation de se rendre le 10 A Port-au- Prince, afin de pouvoir embarquer diverse marchandises du vin notamment qui lui seront apporties par le Salvador, annexe de la Compagnie Transatlantique. Je suis dispose a lui accorder cette autorisa- lion, mais je d6sirais recevoir auparavant l'assurance que, pendant l'absence du D'Estrdes (deux ou trois jours), les refugies a l'agence consulaire de France aux Gonaives ne seront inqui~tstsous quelque forme que ce soit. Je voils demand pardon de toucher ce point; inais le bruit a'circuld ces jours derniers aux Gonaives que 1'on allait organiser une manifes- tation ( firministe ,, en vue de tromper lesdits rfelugi6s et de les pousser a quitter leur asile on a dit aussi qu'on mettrait le feu aux envi- rons du Consulat pour les obliger a fuir dans la rue et pour leur y donner la chasse. Je n'ajoute pas foi a ces racontars :et c'est pourquoi je ne vous ,ecris pas officiellement; toutefois, il est facheux qu'ils puissent se don- ner carrisre, et je dois, par suite, tenir compete c officieusement de 1'etat d'esprit des gens - 61 - qui les fabriquent, qui les gobent ou qui les exploitent. , Je vous demanderai done de m'6crire demauw un petit mot particftlier pour me dire qu incident n'est a redouter pendant iqIlc D'Estrces sera absent des Gonaives. Veuillez agrder, mon cher 'Ministre, les assurances de mes- sentiments les meilleurs. A, P. CARTIERON. 7 nars 1908. Mon cher Ministre, J'ai bien recu.votre mot.particuliert fuchlanq le D'Estrdes, qui doit s'absenter deux .'ii Li':i: jours pour venir prendre-a Port-au-Prince des marchandises que lui apporte le Salvador. Vous m'entretenez aussi de certain bruits qui. ont circul6 aux Gonaives, 'et vous me demanded a ce sujet l'assurance que les, r6fu- gies au Consulat de France ne seront inqui6tes en quoi que ce soit. J'ai lu votre lettre au President de la Rdpu- blique. II m'a autoris6 a vous- donner l'assu- rance formelle que c.es bruits sont faux et qu'ils ont tt. fabriquLs de touted pieces par les ennermis du Gouvernement. -62- Veuillez agr6er, mon cher Ministre, I'expres- sion de mes sentiments de haute consideration. F. MARCELIN. LtGATION DE FRANCE EN HAITI Port-au-Prince, le 6 mars 1908. Son Excellence Monsieur F. Marcelin, Secr- taire d'Etat des Finances et du Commerce, charge du D6partement des Relations exte- rioures., etc., etc. NOTE VERBJALE Le soussign6, se rfe6rant a sa note verbale du 2. du mois dernier qui est rest6e sans r.ponse, a I'honneur d'insister formellement, au nom du Gouvernement de la R6publique Franuaise, auprbs di Gouvernement Haitien pour que les r6fugi6s A l'Agence consulaire de France aux GonaJves soient autorisis & quitter le territoire d'Haiti apres remise a S. Exc. M. le President de la Republique de la declaration qu'ils ont signee des le 14 du mois dernier et don't communication officieuse a Wtd faite le 2 f6vrier par cette 16gation A MM. les Secr&- taires d'Etat des Relations exterieures et de l'Lnt6rieur. II a, en consequence, l'honneur de deman- der que ces refugi6s regoivent la permission de s'embarquer le 14 d.e-.e mois a bord du Quebec, de la Compagnie G6n6rale Traniatlantique, qui cls conduirait & Saint-Thomas. Le soussign6 -profite de cette occasion pour exprimer h Monsieur le Secrdtaire d'Etat in.td, rimraire des Relations ext6rleures l'assurance de sa haute consideration. P.- ARTERON. LEGATION DE FRANCE EN HAITI Port-au-Prince, le 8 mars 1908. Son Excellence Monsieur Marcelin. Mon cher Ministre, Je vous confirm par ce petit mot ce que je vous ai dit hier matin, en presence de mon col- ligue d'Allemagne, au sujat des refugias a I'Agence consulaire de France aux Gonalves. A la suite des propositions que je vous ai fai- tes, il a 0td entendu que vous demanderlez de ma part au President : 1 De fair proc6der trs, rapidement au juge- ment par contlmace desdits r6fugi6s : 20 D'accorder a tousi les, condamn6s sans ex- ception la g'ace pleine et entire sur la de- mande qui'lui en serait faite par les ministres - 64 - de France et d'Allemagne, assists du consul general d'Angleterre ; 3 D'autoriser alors l'embarquement de tous les r6fugies en question don't la declaration pourrait Atre public, au Moniteur. J'aime a penser que le President ne tardera pas a vous donner une reponse affirmative et que je serai bientot en measure d'annoncer a M. Pichon que l'accord est enfin etabli sur ce point entire le Gouvernement Haitien et moi. Veuillez agreer, mon cher Ministre, I'assu- rance de mes sentiments les meilleurs, P. CARTERON. SECRI:TAIRERIE D'1TAT DES RELATIONS EXTEr.TEURES Port-au-Prince, le 11 mars 1908. Son Excellence Monsieur Pierre Carteron, envoy extraordinaire et Ministre pl6nipo- tentiaire de la R6publique Ifrancaise t Port- au-Prince. NOTE VERBAL En se referant a sa communication du 21 du mois de fevrier expire, S: Exc. M. Pierre - 65 - Carteron, envoy extraordinaire et Minis- tre pl6nipotentiaire de la Republique fran- caise en Haiti, a cru devoir, par une nou- velle note verbale date' du 6 mars courant, insisted aupres du Grouvernement de la R6pu- blique d'Haiti pour que les refugies a 1'Agence ( consulaire. de. France aux Gonaives soient a autoris6s a quitter le territoire d'Haiti apres ( premise a S. Exc. M. le President de la ( R6publique de la declaration qu'ils ont ( signee des le 11 du mois. dernier et don't com- ( munication officieuse a et. faite le 2 f6vrier ( par la l6gation francaise a MM. les Secr6tai- ( res d'Etat des relations exterieures et de l'in- ( t6rieur. ) S. Exc. M. Pierre Carteron demand, en consequence, qu'il soit permis a ces r6fu- gies de s'embarquer a bord du. Qudbec, de la Compagnie Transatlantique, qui les conduirait a Saint-Thomas. I En reponse a cette communication, le soussi- gn6 a l'honneur de porter A la connaissance de, S. Exc. M. le Ministre de France.: que, le Conseil des Secr6taires d'Etat, saisi de la question, a maintenu sa decision, de. ne pa, autoriser l'embarquement demand, le?' citoyens haitiens r6fugisi 1'agence consulaire de France, aux Gonaives devant etre livr6s " lours juges naturels. Le soussignr profit de l'occasion pour renou- veler A S. Exc, M. le Ministre plenipoten- tiaire de la R6publique Frangaise les assu- rances de sa haute consideration. Le Secr6taire d'Etat int.rimaire des relations exterieures, F. MARCELIN., L15GATION DE FRANCE EN HAITI Port-au-Prince, le ii mars 1908. Son Excellence M. F. Marcelin, Secretaire d'Etat des finances et du commerce, charge du d6partement des relations exterieures. NOTE VERBAL Le soussign6 a l'honneur d'accuser reception a S. E.c.1.M, .e, Secretaire d'Etat int6ri- maireidessrelations exterieures de la note ver- bae. qu':illui a adressee aujourd'hui en r6ponse daa sienne du 6 mars. SEn presence du nouveau refus du Gouverne- ment haltien d'autoriser l'embarquement des r6fugies a -'agence consulaire de France aux Gonalves, qui doivent, dit le document pr&. cit6, (( tre livres h leurs juges naturels ) 1l - 67 - soussign6 se r6fere A la conversation qu'il a eue le 7 de ce mois avec S. Exc. M. Marcelin,: ainsi qu'a la lettre particulibre qu'il lui a dcrite le 8 mars et don't il croit devoir reproduire ict le passage suivant : (( A la suite des propositions faites par le < Ministre de France, il a Wte entendu que M. (< le Secr6taire d'Ftat int6rimaire aux relations ( ext6rieures demanderait & 1M. le President de ( la Republique : (( i De faire proceder tres rapidement au ((jugement par contumace desdits r6fugi6s ; ( 2 D'accorder h tous les condamnes, sans < exception, la grace pleine et entire sur la < demand qui lui en serait faite par les Minis- ( tres de France et d'Allemagne, assists du ( consul g6n6ral d'Anlgeterre ; ( 39 D'autoriser alors l'embarquement des ( r6fugi6s en question, don't la declaration ( signee le 11 f6vrier pourrait Otre publi6e au ( Moniteur. o Le soussign6 a l'honneur de prier S. Exc, M. le Secr6taire d'Etat int6rimaire des rela- tions exterieures de lui fair savoir s'il a soumis ces propositions A S. Exc. M. le Pr6-, sident .de la RBpublique, et quelle a 0t6 la r6ponse du chef de 1'Etat. (J'attacherais du prix h Atre fix6 des domain sur cette rdponse.) -68- II profit de I'occasion pour offrir h M. le Secr6taire d'Etat- int6rimaire des relations ext6rieures les assurances -de. sa haute consi- deration. P. CARTERON. Port-au-Prince, le 13 mars 1908. Son Excellence Monsieur Pierre Carteron, cnvoy6 extraordinaire et Minisl.re pl6nipo- lentiaire do la RBpublique Francaise a Port- au-Prince. NOTE VERBAL Le department des relations exterieures a l'honneur d'accuser reception la ligation de France de la note verbale qu'elle lui a adres- see, le 11 de ce mois, en r6ponse a celle du department portant la meme date et respon- sive a la pr6c6dente note de la legation date du 6 mars courant. Comme suite h'ce qui fait 1'objet de ces com- munications, le d6partement des relations exterieures fait savoir a la 16gation de France que Ic Conseil des Secr6taires d'Etat, a. qui a 6t6 .sonmise 1a note du t1 mars, est d'avis, ainsi que S. Exc. le President de.la R6publique, que la proposition de M. Ic Ministro de France len- - 69 - dant a imposer la condition pr6alable de grace, dans la question en instance, ne saurait etre accepted. Le soussign6, en informant M: le Ministre de France de cette. decision, saisit cette occa- sion pour renouveler A M. le Ministre les assu- rances de sa haute consideration. F. MARCELIN. Je ne sais si de l'esprit de cette corres- pondance avec le Ministre de France il res- sort suffisamment que j'appuyais pres du President une solution amiable : mais telle 6tait la v6rite. J'essayais prudemment d'agir sur lui, de le ramener peu h pen h une resolution. a laquelle forcement nous 6tions acculds. Le Departement des Relationsext-. rieures 4tait dans une impasse. II soutenait, depuis I'origine, une these qu'il savait bien etre inadmissible : la remise par la France des insurgds des Gonaives. Depuis, la fusil- lade sommaire de Saint-Marc, cette these n'avait plus la moindre chance d'etre admise, ni m6me, & proprement parler, n'dtait plus discutable. II fallait done trouver le moyen de clore cette affaire irritante avec le moins - 70 - de dommage possible pour l'honneur du Gouvernement, engage maladroitement des le debut, dans le maquis d'une discussion, sans portee pratique,'sur le droit d'asile. Tous les journaux 6taient pleins de disser- Lations savantes sur ce sujet, et naturelle- nent sur :excellence de notre revendication. Le dffunt President Salomon devenait une autorite en la matiere, et on citait, avec imeryeillement, sa lettre du 26 mai 1884 aux inembles du corps diplomatique et consu'. laire, M. Firmin lui-meme, qui se serait bien pass a ce moment, je le crois du moins, do cot honneur, montait subitemcnt ai grade de docteur' s matieres internationales. On lui jouait le tour de denicher une de sos ddpeches de naguere, du temps qu'il tait Spcretaire d'Etat aux Relations Exterieures, dans laquelle il fltrissait le droit d'asile et rIdlamait avec 6nergie la remise t son gouvernement de quelques refugi6s; On lisait avec orgueil et -admiration cette, miraculeuse d6p6che. On reprochait veh6- -' 71 mentenient a celui qui dirigeait le fDlparte- ment lors de la decouverte du precieux document de n'avoir pas trouv6 les memes accents pour convertir a la bonne doctrine le Ministre de France, oubliant que le signa- taire de la depeche, pas plus que le titu- laire de l'Npoque, M. Pauldus Sannon, n'a- vait pu rien se fire remettre. Je crois meme que. la piece susdite fut ofticiellement por- tde a la connaissance du Ministre de France, lequel repondit : ( Pourquoi voulez-vous que l'opiuion du rdfugid d'aujourd'hti ait un poids qu'elle n'avait pas quand naguire il 6tait minister ? Mettez-le en contradiction avec lui-m6me, tant que vous voulez, c'est votre affaire. Pour nous, nous restons' ce que nous 6tions hier : pas plus a vous qu a lui nous ne remettons les refugids. Je representais done au President que cette situation ne pouvait plus durer,qu'il-- 6tait evident que le Gouvernement n'obtien- drait rien de la ligation de.France. Je le luii repr6sentais avec fermetd, mais avec mdna-; - 72 - gemrcnt saus doute connaissant son opi- nidtretd, sachant que cette opiniAtretd repo- sait sur cette idee qu'il fallait mettre le parti firministe dans l'impossibilit6 plus tard de trouble encore le pays et de com- promettre l'autonomie national. Mais il supportait difficilement que le chef du mou- vement et ses acolytes principaux pussent s'embarquer paisiblement aprbs avoir com- promis la tranquillity publique ct ddvasti deBerite ejiets. II 'y aAdonc pas de justice ici-bas, s'6criait-il. Jean Jumeau n'6tait qu'un pau- vre homme. '11 est mort fusille. Et la tete qui l'a poussd en avant se sauverait, n'au- rait pas m6me une egratignure Non, c'est injuste. Je ne veux pas, je ne puis pas. Advienne que pourra! -.Quand il :tait dans ces momeiits-lh, il n'etait pas bon de le pousser trop, dans la crainte de tout gAter. Cependant je repre- nais 'plus tard la conversation. II dcoutait plus attentivement le raisonnement sur le- - 73 - quel je revenais sans cesse, i savoir que la presence aux Gonaives des, rfugids, en nom- bre si considerable, dtait un danger public. C'etait a1 l'argument vrai, l'argument de la situation, et le Ministre de France, de son c6td, avec raison, y insistait q.uotidienne- ment. Car il faut computer, en ces tragiques occa- sions, avec l'inconscience criminelle, fdroce, sans pitid du conspirateur haitien. II n'y a pas de forfait devant lequel il riculera pour fire triompher ce qu'il appelle sua cusIL, sait bien pourtant, 6tant au fond de mmem csp6ce et quality, quc nos gouvernants ne badinent pas avec les lettres, papers, docu- ments qualifies subversifs, et qui suffisent pour mettre a mal un malheureux prre de famille, un honn6te commercant,- un citoyen paisible. Rien ne l'arr6tera cependant. A l'abri sur la terre d'exil ou sous le pavilion stranger, il 6crira sa missive de mort, incons- cicnt, de coeur 1lger, sans la moindre palpi- tation, sans le plus petit remords. -74-- J'ai raconte dedj et je crois Wtre revenue plusieurs fois. Ih-dessus, parce qu'il est typi- que le mot d'un grand revolutionnaire que nous avons tous connu et que nous dle- vAmes plus tard h la Presidence. On lui reprochait durant qu'il 6tait en exil d'avoir adress6 des lettres compromettantes a des amis rests au pays, quand elles pouvaient tomber aux nains de Il'autorit6. I1 repon- dait on souriant: -- 11 fallait les faire marcher. De meme, les revolutionnaires refugies au consulate des Gonaives voulurent fire mar- cher leurs amis de Port-au-Prince. Ce fut a cette occasion que le DBparte- ment des Relations exterieures eut a adres- ser la d6peche ci-contre a la 1egation de France : Port-au-Prince, le 12 mars 1908. A Son Excellence M. Pierre Carteron, envoy extraordinaire et ministry plenipotentiaire de la R1publique Frangaise en Haiti, a Port- au-Prince. Monsieur le Minislte, J'ai l'honneur d'attirer votre s6rieuse atten- tion sur les faits suivants : I1 y a quelques jours, un de nos plus nota- Iles commergants, M. Etienne fils, a person- nellement apport6 au Secr6taire d'Etat de la Police g6n6rale la lettre que j'ai l'honneur de vous transmettre sous ce pli, avec priere de renvoi. En faisant cette communication, 1'ho- norable commer-ant a racont6 que la semaine derniere, vers les neuf heures et demie du soir, deux individus se sont pr6sent6s chez lui au noim de M. Firmin el, tres mnyst6rieusement, apres lui avoir d6clar6 qu'ils arrivaien. dst Gonaives of ils avaient 6te charges de distri-' buer de nombreuses lettres de meme nature, ils lui remirent celle don't vous pouvez appr6- cier l'objet. M. Etienne ills n'h6sita pas a traiter ces messagers comme ils le m6ritaient et, apres les avoir chassis de sa demeure, se hata d'ap- - 76 - porter la lettre au ministry de la Police g6n6- rale. Il ne saurait exister le plus leger doute sur l'authenticit6 de cette lettre : l'6criture en est ind6niablement de M. A. Firmin ; elle est de plus signee ( Peter ,, nom adopt dans toutes ses correspondances revolutionnaires par le chef des insurges de l'Artibonite. En presence de ces faits don't 1'exceptionnelle gravity ne saurait cchapper a votre legation, le Gouvernement de la R publique se demand si l'agence consulaire de -France aux Gonaives peut ainsi servir d'officine aux ennemis de l'or- dre public pour fomenter de nouveau la guerre civil dans le pays, comme le bruit s'en est du reste repandu ici depuis quelques jours. Je ne doute pas, Monsieur le Ministre, qu'il ne me suffise de vous signaler un 6tat de choses aussi contraire a la traditionnelle cor- rection du Gouvernement francais pour qu'il y soit promptement et 6nergiquement rem6di6. Veuillez agreer, Monsieur le Ministre, les assurances de ma haute consideration. F. 'MAncJrN. 77 - Ier mars. Mon clier concitoyen t, ami, J, sais (qle vous ne reslez pas indifferent 'i la triste situation du pays et que vous Otes, au contraire, un de ceux qui sont prets a se don- nor dans toute la measure du possible pour- aider les patriots a changer cette situation. Aussi bien, je fais appel tant a votre ancienne amitit personnelle pour moi qu'a vos senti- ments de patriotism eclair6 pour vous deman- der de donner tout votre pr6cieux concours materiel et moral aux amis qui essayent do nous tirer de l'abime of nous a jets le regime tyrannique et corrompu qui pese depuis plus de cinq ans sur notre malheureuse patrie. Je compete sur vous et je vous press affec- teousemeni la main. Cette histoire a faith assez de bruil, dans le temps, pour que je sois oblige de m'y arrOter. Lorsque M. Etienne fils vint de grand matin chez moi me remettre cette lettre que, me disait-il, des inconnus, la veille, a neuf heures et demie du soir, lni avaient appor- - 78 - the dans sa residence, a Turgeau, de bien tristes r6flexions m'assaillirent... Quoi c'6taient encore ces incorrigibles revolutionnaires qui, malgre leur dchec rd- sent, appelaient de rouveaux malheurs sur le pays... C'dtait done vrai ce que l'on disait de tous c6tes de prendre garde, qu'on cons- pirait a Port-au-Prince, qu'on allait tenter un movement pour faire diversion, qu'on m'ahattrait, des premiers, au coin d'une rue, dans une de mes sorties nocturnes. Le Gouvernement pourtant n'avait fait que son devoir en se defendant vigoureusement. Je n'avais fait que le mien en maintenant stric- tement l'ordre dans la ville, en empechant durant ces six mois de mon interim au Dd- partement de l'Interieur de tirer un seul coup de fusil, en payant dema personnel le jour comme la nuit, soit en president au bureau du port aux embarquements de troupes et provisions de bouche, soit en patrouillant, dans l'int6rkt de tous, de mi- nuit h quatre heures du matin... Et malgrd - 79 - la d6faite, on essayait encore d'en appeler au sort des armes On voulait provoquer h la capital une insurrection assez semblable h cell qui eut lieu le 22 septombre sous Salomon. C'dtait la diversion revee... Au prix de quels deuils, de quelles ruiies, de quelles horreurs, y songeait-on ? Les r6volutionnaires sont des fous, il n'y a pas a en douter. S'ils supportaierit seuls le chAtiment de leur folie, il n'y aurait pas grand mal h cela. Mais ce qu'il y a de p6ni- hie, c'est que toujours ils entrainent dans lour ruine une foule de braves gens qui ne connaissaient pas Ie premier mot de leur histoire ou qui, au fond, s'en moquaient. Et nieme dans le cas actuel, il 6tait inexact de parler de leur ruine, car les rdvolutionnaires des Gonaives, dAs la de6bcle, s'dtaient sau- v6s au consulate d'oii tranquillement ils pous- saient les autres h se faire fusiller en leur honneur. Qu'on se report a ces jours qui suivirent la reddition des Gonaives et que l'on dise ce qui serait advenu a Port-au- - 80 - Prince si une prise d'armes y avait 6clatd ! Le Gouvernement vivait dans un perpd- tuel qui-vive et la faute de cette situation, il faut bien l'avouer, revenait en grande parties h la lutte qu'il soutenait avec les 1ga- tions dans la question du droit d'asile. 11 en dtait rdsult6 une certain confusion dans l'esprit public don't les fauteurs de troubles essayaient de tirer profit. C'6tait la premiere fois, en effet, qu'on avait vu une champagne victorieuse, rapide el belle finir dans une sorte de grisaille ofi le people ne semblait pas discerner si le Gouvernement 6tait reellement vainqueur. On n'avait pas vu rentrer les troupes sous des arcs de triomphe, on n'avait pas vu revenir les generaux victorieux. Ils etaient transforms en ge6liers. Pour nombre de gens, M. Firmin et ses partisans renfermes au consulate tenaient le Gouvernement en 6chec mieux.qu'ils ne ly avaient tenu, en armes, dans la plaine des Gonaives. C'etait lI le vice d'uue situation que, avec un en- - 81 - t.tement de vieux procedurier, le g6enral Nord Alexis, invoquant le droit, se persua- dait de perpteuer. Quelle tentation, pour les rdvolutionnaires, de changer cette indd- cision d'une certain portion de l'opinion publique en une action efficace en leur fa- veur ! De faith, et les 6venements subsequents 'ont bien prouvd, ils n'avaient pas si mnal raisonne, car a qui le 15 mars a profitO si ce n'est aux rdfugids des Gunaives ? Le ge- neral Nord Alexis a 6td, aprbs ces tristes hecatombes, force de les laisser partir. 11 a Wtd force de convenir qu'il eut mieux fait, d6s le debut, d'6couter ceux qui lui don- naient ce conseil utile au pays et A lui- meme... Je reviens a l'incident Etienne fils. Je pris la lettre de' ses mains ce martin qu'il me l'apporta et ne lui demandai aucun autre detail. Sa version devait me suffire. II -faisait acte de loyautd envers le Gouver- nement. En retour, mon devoir m'obligeait 5. - 82 -- de lui donner l'assurance formnelle que non seulement on ne lui en demanderait pas davantage, mais que rien de f4cheux ne pouvait lui arriver. Je crois que j'ai tenu ma promesse envers lui. On pourra peut-6tre penser, et on aura raison, que c'6tait le moins que l'on devait a un citoyen qui, recevant une telle lettre, correctement l'apportait au Ministre de 1'Intdrieur. Cela est vrai, pourtant cela ne se passe pas tou- jours ainsi dans notre pays... J'avais filicit6 M. Etienne fils de sa con- duite. Cependant, j'avais a r6gler la mienne, dans les circonstances que P'on traversait, de facon que rien de dommageable n'ar- rivAt, la responsabilit6 m'en incombant. Je r6flechis que je devais 6viter soigneusement de donner lecture de la lettre au Pr6sident, seul 4 seul avec lui. Si j'agissais ainsi, il ne manquerait pas de la prendre, de la mettre dans sa poche. Elle serait, moi parti, com- mentde par les uns et par les autres dans l'intimit6 de la chambre presidentielle, Et 83 - qui sait ce qui arriverait alors Non, il fal- lait en donner publiquement lecture, 6tablir une mise en scene qui mettrait nettement hors de cause celui qui l'avait regue. Je fus servi souhait. En arrivant au Palais, je trouvai le Pr6sident assis devant son bu- reau et la piece garnie d'une dizaine de per- sonnes. Excellence, lui dis-je avec feu, les rdvolutionnaires seront toujours les m6mes : inconscients et criminals. Voili une lettre qui m'a 6td apport6e ce matin... J'en donnai lecture et je m'keriai : N'est-ce pas une honteuse action que celle-lh Quoi! voilh des gens qui sont a l'abri sous le pavilion stranger et qui 6cri- vent, de telles choses a un honnete n6gociant, h un pere de famille honorable, a un home qui passe pour riche et qui a tout a perdre, rien 4 gagner dans une revolution Et qu'ar- riverait-il si votre Gouvernement n'6tait pas assez habile pour percer la diabolique esp&- rance de ces criminals et assez just pour - 84 - ne pas faire leur jeu ? Aussi ai-je donn6 toute garantie, en votre nom, a M. Etienne fils. En votre nom, je l'ai felicitd de la confiance qu'il nous a t6moign6e. Je reserves encore mon anecdote de r6vo- lutionnaires camps jadis a Kingston, dcri- vant h Port-au-Prince comme si on avait dejh avec eux une correspondence antd- rieure... Le Pr6sident approuvait ce que je disais. Oui, oui, faisait-il de la tete, vous avez bien faith. II faut 6crire h la l1gation.de France, et denoncer ces gens qui compro- mettent de paisibles citoyens... Mais, ajouta- t-il en baissant la voix et me parlant presque a l'oreille, Etienne a Rtd un grand firministe dans le temps. Vous ne savez pas l'histoire do son coffre-fort ouvert pour nous montrer qu'il ktait bond de gourdes, mais qu'il ne nous en prfterait pas une seule pour feter le Centenaire ? On a racontd cela... N'est-ce pas plu- t6t qu'il voulait 6tre ministry et se faire - 85 - appeler par vous ? On 'a affirm. En tout cas, qui n'a pas Wtd firministe avant 1902 ? Vous en savez quelque chose. President ? Cette lettre de M. Firmin ne causa done, a aucun moment, le moindre disagrement a M. Etienne fils. II ne fut pas mime appeal a la police pour preciser par quelle voie il l'avait eue et decrire plus amplerimnt les deux inconnus qui la lui avaient apporlde et qu'il n'avait plus revus. Si l'infortund "Massillon Coicou, lorsqu'il recut la sienne, s'dtait adress6 h moi, il en serait advenu certainement la mime chose. Et encore avec beaucoup plus de facilitd... Mais il ne pouvait le faire, car il crut pou- voir jouer le role auquel criminellement on le conviait. Ce fut vers le 13 ou le 14 mars que je cessai l'interim du Ddpartement des Rela- tions extdrieures. A la mort du general J. Carri6, comman- dant de l'arrondissement de Port-au-Prince, le President de la R6publique nomma a sa charge, provisoirement, disait-il, le general Coicou. Le g6n6ral Nord Alexis commit ce jour-la une erreur impardonnable don't il devail, a just titre, payer plus tard les fatales cons6- quences. Aux reproches que je fis a ses conseillers intimes de ne l'avoir pas ddtourne de cc choix ndfaste, ils me repondirent: < Le Presi- dent sera son propre commandant d'arron- dissement, Jules Coicou sera dans sa main, tandis que Carried veillait trop ses craintes. , Ces paroles peuvent servir de clef h la situation qui se ddnoua si tragiquement le 15 mars ; faible, sans instruction, sans cou- - 87 - rage, enclin h l'intrigue, Jules Coicou cons- pira r6ellement contre son chef et d6nonga plus tard la conspiration pour sauver sa propre vie. C'etait une sorte de defi, une indignity qui nous remettait au plus mauvais temps de notre histoire, que de donner ce gnd6ral h la ville de Port-au-Prince come commandant militaire. C'etait aussi une injure-faite a la memoire de Justin Carrid. On peut penser ce qu'on voudra de Justin Carrid, et certes personnel ne songe a excuser en lui des actes qui sont pourtant families i tous nos g6neraux... Cependant il honor le commandement don't il fut revetu tant par son education, son courage personnel, que par sa fiddlite h toute 6preuve. 11 avait du devoir militaire la plus haute conception, et bien assurement ce n'est pas a lui qu'on aurait osd faire les propositions qu'6couta Jules Coicou ! Nos chefs d'Etat sont parfois plus qu'a- veugles et il semble qu'ils soient, en resume, - 88 - les meilleurs artisans de leur ruine. Ce sera toujours un problem pour moi que de comprendre qu'ayant a nommer a un post aussi 6leve, aussi important, a quelque point de vue oh l'on se place, que celui de l'arron- dissement de Port-au-Prince, le general Nord Alexis ait choisi precisement le g6ndral Coicou qui n'avait aucune des qualities, ni dans le caractere. ni dans le courage, pro- pres h cette charge. !1 faut croire sans doute que sa fortune lui vintjustement du peu de merite don't il etait pourvu, ce qui devait le rendre precieux, une sorte de perinde ac cadaver, au jour des elections presiden- tielles ou pour d'autres besognes qu'on pou- vait attendre de lui... Longtemps avant cette affaire du 15 mars, et des le commencement de la revolte des Gonaives,'des amis avaient attire mon atten- tion sur la conduite du commandant de 1'arrondissement, qui, selon eux, etait bizarre. Ils m'affirmaient qu'il se rendait h des conciliabules, qu'il voyait des gens sus- pects, que ses allures, pour le moins, dtaient louches. J'attribuais ces avertissements a des questions personnelles, a des rivalitds d'ambition. Peu a peu, cependant, ces soup- cons s'6taient fortifies. Ils avaient pris corps. Je fus persuade la fin que cet offi- cier gdenral n'avait pas une franchise mili- taire rassurante, soit qu'il complotAt pour lui-m6me, soit qu'il ffrt au faith de certain secret qui rabaissit son 6paulette par le traffic qu'il en faisait. Quand on le rencon- trait, par hasard-, la nuit en patrouille, il avait une facon de rodailler, assez inquid- tante... Que de fois l'un de nous, parmi les amis qui sortaient avec moi, ne m'a-t-il pas dit : a Je suis stir qu'il va a un conci- liabule chez X... Je repondais en sou- riant : ( S'il rodaille ainsi au bord des galleries, c'est plut6t qu'il a peur d'un coup de fusil au milieu de la rue. ) Mais, apres le 15 mars, quand il venait parfois a Tur- geau me voir, pour affaire de service, j'en- tr'ouvais toujours le tiroir de mon bu- - 89 - -90 - reau, oi il y avait mon revolver charge... Deux opinions peuvent se soutenir sur l'acte du general Coicou : ou il conspirait r6ellement, et il a denonce ses complices pour sauver sa vie, parce qu'il a eu peur; ou, des le premier moment, quand Massil- Ion Coicou est venu lui co.mmuniquer la let- tre de M. Firmin. it a combine le plan do le pousser en avant, de se mettre avec lui pour le livrer et le vendre. Je pense, pour ma part, que c'est la pre- miere opinion qui doit pr6valoir. Et, en some, elle est moins d6shonorante s'il y a des degres dans le d6shonneur car il n'y a 14 que la lachetd en jeu... Mais ce qui fait que j'incline a croire que dans le debut il 6tait sincerement dans la conspira- tion, c'est que pius tard, apres le 15 mars, j'ai questionn6 plus de vingt fois le Presi- dent pour savoir i quel moment Coicotu Ili avait denonce la conspiration : il n'a jamais pu me le dire. 11 a toujours biaisd, hdsit6, tergivers6. Qu'on n'oublie pas, au surplus, - 91 - que le general Coicou fut naguere un firmi- niste militant, qu'il aima toujours l'intri- gue. Peut-6tre aussi, comme cette espece naive d'ignorants don't 6tait Jean Jumeau, crat-il qu'il se rehausserait en faisant reus- sir un mouvemenc qu'on qualifiait, dans les cercles bourgeois, d'intellectuel. De plus, ii etait peut-6tre convaincu, vivant dans le Palais, dans la chambre du President, en face des intrigues journalieres qui se nouaient autour de lui, des faiblesses qui en 6taient la suite inevitable, qu'il lui serait facile d'avoir raison, dans un coup de main, du Gouvernement de ce nonagdnaire. Mais i la longue le courage lui manqua. Enfoncd dans cette intrigue, vint un jour oQ il trembla pour sa peau. Un mot peut-etre sans conse- quence, une parole qui ne le visit m6me pas, prononcee soil par M"" Nord, soit par le President lui-m6me, qui en jetait souvent de cette. nature, poingonnee au soupcon, et la dcroute se mit non pas dans son coeur, mais dans ses entrailles. Sans doute, il n'alla - 92 - pas dire au PrIsident qu'il conspirait contre lui. Mais, flairant le danger, le portant avec lui, le creant dans sa propre peur, il alla un soir ou un grand matin dans la chambre du President et entreprit, sous des airs myste- rieux et timidement roublaids, de lui per- suader qu'il avait sauve son Gouvernement d'un grand peril en provoquant les confi- dences des conspirateurs pour les lui d6voi- ler... C'est le general Coicou, du rested, qui 1'6tablit lui-meme dans son interview du 26 f6vrier 1909, a Santiago-de-Cuba : Quand done, dit-il, je fis connaitre au Palais le but de ma visit, c'est-h-dire quand je donnai les secrets que je detenais, Mnme Nord me demand: < Gdneral Jules, qui saints ou servi ? ) Je repondis a Cdce : (( M' servi toutes saints.)) Elle esquissa un sourire et me dit : ( Ou servi bien, ddpi hier ou td you fisilld. ) Cette derniere phrase ne prolaye nulle- ment qu'on fut au courant de 1i coi'pira- tion Coicou au Palais. Elle est de ceIllis (I qu0o -- 93 - prononce habituellement en ces circonstan- ces. On dit toujours qu'on 6tait au courant pour inspire une crainte salutaire au d6non- ciateur, pour qu'il ait une haute idde de la police don't, a son insu. les mailles l'entou- raient, et aussi pour 1'avoir a son entire disposition. Ce sont les ficelles tradition- nelles, et le President mieux que personnel savait les tirer, ou les faisait tirer a l'occa- sion quand il le croyait necessaire. Certes, il savait, nous savions tous, qu'on s'agitait, que les partisans des refugids des GonaYves cherchaient a s'organiser t Port-au-Prince pour fomenter un movement, mais de li h penser h une prise d'armes de cette impor- tance, prise d'armnes a la tote de laquelle se trouvait le commandant de l'arrondisse- inent lui-inm6e, et sur l'opportunitd de la- (quelle des personnages des plus considdra- bles avaient etd consults, il y avait un abime, il y avait un monde!!! Je repute qu'on s'agitait a Port-au-Prince. et un de ceux qui furent consults a cette occasion, - 94- qui, du reste, refusa sa participation a toute action, m'avait fait, h deux reprises, dire par un de mes proches de prendre garde. Toutefois qui pouvait, saufles inities, croire que c'ktait le general Jules Coicou lui-mAme qui organisait le movement, lui en qui le President avait place toute sa confiance, lui la premiere autorit6 militaire de la ville Si le g6ndral Nord Alexis avait eu le moindre soupcon de ce qui se tramait, nul doute qu'il n'ett fait arreter seance tenante ce general. La v6ritd est qu'il ne savait rien. De la propre declaration du commandant de l'arrondissement, il resort que ce fut le vendredi 13 mars qu'il d6nonca la conspi- ration. En effet. il dit dans son interview : ( Quand le vendredi; au milieu du jour, j'appris Farrestation de Mme Galette, je m'empressai de me rendre iinmmdiatement au Palais, feignant d'ignorer ce qui venait de se passer. On m'annonca, aveP force admonestation, I'arrestation de Mme Galette, Alors je fis observer que j'ignorais cela et qu'au contraire ma visit avait pour but de d6noncer... ) Or, de la narration du g6enral Nerette lui-meme, qu'on trouvera plus loin, il est 6tabli que, dcs le commencement de mars, Jules Coicou conspirait avec son cousin. 11 est h supposed que le general Nord Alexis dut dprouver une violent motion quand il cntendit l'inattendue confession de Jules Coicou. Maitre de lui, il n'en laissa sans doute rien paraitre. 11 est a supposed aussi qu'it demand la v6rit6 tout entire, enfin qu'il exigea de ce general, pourpreuve de sa fidd- lit6, de son d6vouement insoupgonne il dut appuyer lh-dessus la remise en ses mains de ses complices, pris en flagrant ddlit, avec armes et munitions. Coicau, tremblant, promit pour sauver sa vie tout ce qu'on voulut, se bornant h conjurer le President, en change, de lui garantir sa protection pour le lendemain. Le general Nord fit probablement cette promesse, croyant qu'il allait de sa s6eurit6 - 95 -- - 96 - personnelle de ne pas laisser croire que son commandant d'arrondissement avait rdelle- ment conspire. Et c'est pourquoi, dans les jours qui suivirent le 15 mars, quand, de- vant la rdprobation universelle contreCoicou, on le suppliait de rdvoquer ce g6ndral, de le livrer la justice qui aurait devoild sa trame, il rdpondait : < Je ne puis pas man- quer k ma parole. ) Ayant la promesse du chef, et sous l'exci- tation de.la terreur qu'il 6prouvait apres sa denonciation, le commandant de l'arron- dissement prdpara, durant les journees des 13et 1 4mars, son funebre scenario.. Macabre coincidence! il avait a prendre a son piege un pauvre poRte dramatique. I1 employa d'instinct, lui, 'illettrd, les ficelles du md- tier : la lettre-amorce pour faire venir a l'arrondissement Massillon Coicou et la caisse de munitions qui devait servir a constater le flagrant ddlit. II fournit mIme la femme- une domestique a lui pour porter ladite caisse ! - 97 - Le seul individu qui avait un intir6t reel Sl'execution sommaire des conspirateurs du 15 mars 6tait Jules Coicou. 11 avait cons- pire avec eux. Ils 6taient ses complices. II devait ardemment souhaiter leur dispa- rition, car s'ils parlaient quelle serait sa situation ? Forcmient ils lentraineraient dans leur ruine. Grace au m6prisable scenario qu'il arran- gea, qu'il dut exploiter sur des esprits prits a subir l'influence traditionnelle et ndfaste du flagrant ddlit, il 6cartait cc danger d'un debat contradictoire. TrouveAS les armes a la main, on les passait par les armes. Quoi de plus simple Us ne parle- raient pas. Aussi, le gdn6ral Coicou. apres le 15 mars, fit-il des efforts desesperds pour arreter toute action judiciaire, quelque im- parfaite quelle dht etre. Je l'ai entendu ddcla- rer i maintes reprises, au Palais meme, que si on voulait ressusciter laffaire, il se hrAle- rait la cervelle, non sans l'avoir brdle a beaucoup auparavan t. 11 ne l'aurait bruilde ni 6 aux autres, ni a lui-m6me... Et, meme apres l'execution sommaire du 15 mars, ce fut une faute trWs grave de la part du President de n'avoir pas 6cout6 ceux qui lui conseillaient de le livrer a la justice. Voici l'interview qui part le 26 mars dans le journal Le Matin. Ce document rcstera la v6ritd historique sur ce tragique 6vdnement du 15 mars 1908 : LE GENERAL JULES ALEXIS COICOU Etait a la tfte du movement I i avait fourni des armes a Massllon Coicou. Le r6le de Mmo Galette. Le gdenral Ndrette faith des rdvdlations au Matin sur la derniere prise d'armes. Nous avons voulu faire la lumiire sur les derniers 6v6nements et nous avons dt6 avant- lier, vers les quatre heures, h la 16gation de France, nous renseigner pres de quelqu'un, le g6ndral N6rette, qui nous semblait tout d6si- gne pour nous aider dans notre enquete. Voici le r6sultat de notre interview : General, le Matin, voulant faire la lumir.e sur les derniers 4v6nements, a natu. |